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Soft City, Pushwagner

9791095086413
Soft City | Inculte


couvertureIl suffit de jeter un œil à l’œuvre de Pushwagner, le peintre (site officiel : www.pushwagner.no), pour comprendre que la seule et unique bande dessinée qu’il ait réalisée dans sa carrière, Soft City, sera une singulière expérience. Les quelques tableaux et illustrations qu’on y retrouve sont de glaciales représentations d’une violente déshumanisation causée par la bureaucratie et ses avatars (blocs d’appartements, armée, etc.). Soft City s’inscrit dans la même lignée thématique.

Mais qu’est-ce que, justement, Soft City? Le récit suit le cours de la journée de travail d’un fonctionnaire dans une métropole aussi anonyme que l’ensemble des personnages qui parsèment les planches de ce livre. Cette absence d’intrigue joue largement en faveur du propos de Pushwagner : Soft City est une dystopie, la mise en scène d’un futur hypothétique, d’une réalité d’autant plus glaçante que nous y sommes potentiellement déjà.

Derrière l’apparent bonheur des citoyens de l’écrasante cité, se cache une terrible vérité : ils ont depuis longtemps abdiqué leur liberté (d’agir et de penser) pour devenir les rouages d’une bureaucratie au service d’un invisible dictateur. Ce potentat, qui occupe ses journées à observer ses citoyens (esclaves?) en leur susurrant par microphone sa propagande dans sa propre novlangue (un mélange de français et d’anglais), est le seul personnage de cette œuvre qui semble doter d’une quelconque personnalité. Pendant que les hommes vont, semble-t-il, faire fonctionner l’État, les femmes, elles, vont acheter du bonheur préfabriqué dans un centre d’achat. Dans une société aussi abrutissante et vide de sens, nul n’est surpris alors de la place que prend la pharmaceutique dans la vie quotidienne : chaque journée commence et se termine par la prise d’une « pilule du bonheur ». Une prémonition géniale de Pushwagner à propos des antidépresseurs?

Outre l’absence d’intrigue et de personnage principal, Soft City se démarque également par son travail graphique d’une grande minutie. Chaque planche est réalisée comme un tableau unique, avec très peu de cases, et c’est de l’assemblage de ces tableaux que naît le récit. D’une multitude de traits fins, Pushwagner génère sous nos yeux un univers froid dans lequel pèse la lourdeur de l’anonymat, l’absence de beauté. Ultime image du désespoir qui envahit ce monde : le soleil lui-même apparaît tel le Big Brother avec son œil unique, rythmant les journées en un cycle immuable.

Jérôme Vermette

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