
Antkind
de Charlie Kaufman (Éditions du Sous-sol, 2022, pour la traduction en français par Claro)
Une chronique d’Olivier Guénette-Rochon
Il est difficile de débuter cet article comme il est difficile de s’immiscer dans cet ouvrage labyrinthique. Antkind est un capharnaüm, une boîte de pandore cachant en son intérieur une satire à l’absurdité incendiaire et à l’humour surréel. Tel que mentionné par Kaufman lui-même, il s’agit d’un livre impossible à adapter, je m’excuse donc d’avance si le fil conducteur de cet article s’effondre sur lui-même, ou si je passe du coq à l’âne sans crier gare.
Kaufman débute cette épopée postmoderne sans nous permettre de se tremper le gros orteil pour tester la température de l’eau. Nous sommes immédiatement plongés tête première dans la psyché déjantée d’une crise existentielle sur deux pattes, cette dernière existant dans un monde qui lui échappe et qui le rejette à tous coups. B. Rosenberger Rosenberg, notre protagoniste, est un idiot, et ce dans tous les sens du terme. Ce critique de film névrosé aux actes performatifs est insupportable, que ce soit par son élitisme arrogant, sa capacité étonnante à se mettre les pieds dans les plats ou encore par l’incohérence entre ses intentions progressistes et son manque de sensibilité flagrant. Kaufman souffle toutefois en lui un humour accidentel, chaque parole coulant de ses lèvres étant plus hilarante que la précédente, et ce sans la moindre goutte d’auto-réflexion. La force du roman réside justement dans cet humour, jonglant entre autoréférentialité, absurdité et satire.
Il est futile de s’attarder sur l’aspect narratif de cet ouvrage monstrueux, jonglant à la fois entre passé, présent et futur dans une bourrasque parfois désordonnée, parfois confuse, mais d’une lucidité frappante. Malgré le chaos, Kaufman nous incite au laisser-aller, à la perte de nos repères, pour nous livrer une collection de vignettes se tricotant sous nos yeux, se chevauchant entre elles, prenant leur envol dans un brouhaha accablant. Si l’on se pose des œillères pour déceler la trame principale, il est possible d’y apercevoir le périple de B. désirant reconstruire, tant bien que mal, un chef-d’œuvre cinématographique brûlé dans un bête accident. Pour être encore plus précis, notre protagoniste empoté (et amnésique) souhaite recréer parfaitement un film en stop-motion d’une durée de trois mois ayant pris plus de 90 ans à compléter. Cette mise en contexte, malgré sa nature saugrenue, reste la moins absurde du bouquin. Il serait impossible de lister l’entièreté des péripéties faisant virevolter B. d’une situation à l’autre, chaque nouvelle scène se lisant comme son propre univers onirique aux règles incertaines. On s’y perd avec le plus grand des plaisirs.
Que dire de plus? Il me serait possible de dégobiller du contenu sur ce roman durant des heures, des jours, voir même aussi longtemps que la durée du très-long-métrage que notre ami B. tente de recréer. Kaufman, autant dans ses films que dans ce roman, possède un souci quasi maladif des détails, chaque phrase cachant en elle un sens plus profond, chaque blague ayant une signification réfléchie obsessivement. Je retourne ainsi lire et relire ce bouquin pour y découvrir de nouveaux trésors, je vous invite fortement à faire de même.
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