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« Frankenstein lui a échappé » d’André Caron

9782895024088
Frankenstein lui a échappé | L’instant même

« It is still alive! »: Frankenstein au cinéma

Cette année marque le bicentenaire de la publication de Frankenstein ou le promothée moderne de Mary Shelley. Qu’on l’ait apprécié ou non, ce roman gothique est devenu un monument de la littérature anglo-saxonne. C’est que le roman a rencontré, dès sa parution, un immense succès. Tout au long du XIXe siècle, plusieurs pseudo-adaptations ont été faites pour le théâtre. Le XXe siècle n’est pas en reste : dès 1910, Thomas Edison en produit la première adaptation cinématographique (les curieux peuvent d’ailleurs visionner facilement ce court métrage sur la Toile). Au total, à partir de cette date et ce jusqu’à nos jours, le savant et sa créature se retrouveront plus de 150 fois à l’écran.

C’est cet acte de « re-naissance », suivi d’une telle abondance de productions aux qualités fort diverses, qui intrigue André Caron. Cet ancien professeur de cinéma au Cégep F-X-Garneau se passionne pour la figure de Frankenstein. Caron nous convie donc, dans son livre Frankenstein lui a échappé : les tourments cinématographiques d’un mythe moderne, à un voyage dans les diverses représentations qu’auront livrées les adaptations cinématographiques du roman.

Son essai débute d’ailleurs par une contextualisation de l’écriture du roman et tente de briser la légende entourant la genèse de Frankenstein. On a glosé longuement sur cette fameuse soirée en Suisse au cours de laquelle des amis se sont amusés à écrire chacun une histoire d’horreur. Caron fait ici la part des choses entre la réalité et la fiction (dont une partie fut générée par l’auteure elle-même lors de la réédition de 1831). S’ensuit une passionnante analyse du roman à partir du paradigme de Syd Field. Ce théoricien du cinéma a compris que tout récit filmique se structure en trois actes, avec deux pivots importants pour le protagoniste principal et un point médian dans le récit. En appliquant ce type d’analyse au roman, Caron expose des thèmes fort différents de ce que nous a habitués la critique littéraire.

Fort de cette analyse thématique, l’auteur s’attaque par la suite aux divers discours cinématographiques qu’ont engendrés les adaptations du livre au grand écran. Deux temps forts se méritent chacun un chapitre : le cycle de la Universal, réalisé en grande partie dans les années 1930 et responsable de la plus iconique des apparences du monstre, et le cycle de la Hammer, dont la première adaptation du roman est également l’acte de naissance de l’horreur moderne au cinéma. Le dernier chapitre montre les déconstructions qu’a subies le mythe depuis les années 1970. Au gré de ces adaptations inégales, Caron termine son voyage sur celle de Bernard Rose, réalisée en 2015. Elle mérite ici d’être soulignée : Rose favorise le point de vue de la créature et met en scène ses pérégrinations dans le Los Angeles de 2015. En choisissant de citer textuellement les pensées de son protagoniste dans le livre de Shelley, il démontre à quel point le roman réussi à transcender le temps.

Les passionnés de cinéma fantastique trouveront dans le livre d’André Caron une lecture fascinante de plusieurs œuvres charnières du genre. L’habileté de l’auteur à analyser et à décrire des films est remarquable : son écriture est claire et concise, nous évitant d’avoir à absolument visionner le film pour comprendre son cadre explicatif. L’essai de Caron est également un voyage dans l’imaginaire collectif, montrant de quelle manière peut se créer et se métamorphoser une mythologie au gré des relectures. Une façon palpitante de souligner les 200 ans de la créature de Mary Shelley!

Jérôme Vermette

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