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J’aime Hydro, de Christine Beaulieu

9782897592714
J’aime Hydro | Atelier 10

En novembre 2014, Anabel Soutar, directrice artistique de la compagnie de théâtre documentaire Porte Parole, rencontre sa collègue Christine Beaulieu dans un café montréalais pour lui faire part de sa consternation : Hydro-Québec refuse de participer à une discussion sur la santé des rivières du Québec. Il semble que le sujet soit devenu trop sensible, en raison entre autres du discours des militants de la Fondation Rivières qui remet en doute les barrages hydroélectriques, pour qu’on ose se prononcer publiquement. Pour Anabel, ce silence est à la fois une aberrance et une occasion : il est grand temps de questionner la relation entre les Québécois, maîtres chez eux, et Hydro-Québec. En novembre 2014, dans un café montréalais, Anabel lance à Christine le défi d’engager ce dialogue impossible.

Comédienne avant toute chose, qui plus est totalement ignorante en matière d’enjeux énergétiques, Christine Beaulieu se montre d’abord réticente. Mais parce qu’elle est également Québécoise, et donc concernée, elle se lance finalement dans cette enquête citoyenne qui deviendra l’objet de sa première pièce, J’aime Hydro, un docu-théâtre en cinq épisodes (près de trois heures trente lorsque joué sur scène) d’une pertinence rare.

L’auteure s’intéresse à des questions substantielles, que d’autres ont posées avant elle sans toutefois trouver de réponses. Même en tant que Premier Ministre du Québec Jacques Parizeau n’avait pu obtenir l’heure juste à savoir « est-ce que ça coûte plus cher de produire un kilowattheure ou d’économiser un kilowattheure?1 ». Aujourd’hui, cela se traduit concrètement par : le chantier de la Romaine était-il réellement indispensable? L’exportation d’électricité aux États-Unis est-elle économiquement justifiable? Est-ce que l’hydroélectricité telle que nous la produisons aujourd’hui constitue l’énergie de l’avenir?

Entre ses participations aux tables de concertation sur l’énergie et son périple en voiture électrique de Montréal à la Romaine, Christine Beaulieu relate surtout les rencontres éclairantes qui ont fait progresser sa recherche et nourri son engagement social, de la première avec le cinéaste Hugo Latulippe en 2011 à celle, inespérée, avec le P.D.G. d’Hydro-Québec, Éric Martel, en 2017. J’aime Hydro laisse ainsi entendre la voix de nombreux intervenants (près d’une trentaine), qu’ils soient entrepreneurs ruraux, consommateurs urbains, intellectuels, autochtones, politiciens ou autres, pour qui Hydro-Québec revêt plusieurs visages différents. L’auteure se veut réceptive, à l’écoute des points de vue divergents – il faudra lire jusqu’à la fin avant qu’elle ne prenne elle-même position. Elle présente ainsi les résultats d’une enquête riche et bien documentée, sous un angle d’approche toujours essentiellement humain.

En effet, la plume de Christine Beaulieu est sincère et sensible, et fait plus d’une fois sourire par sa grande capacité d’autodérision. Le lecteur appréciera également les qualités vulgarisatrices de la comédienne, parvenue à maîtriser parfaitement son sujet et à le rendre accessible au grand public. En lui partageant son expérience citoyenne, Christine Beaulieu permet au lecteur d’appréhender dans le détail les enjeux énergétiques du Québec – ce qu’un article journalistique n’a rarement ni le temps ni l’espace de sonder. De cette façon, J’aime Hydro en vient à poser la question de la responsabilité de chacun des citoyens. Au terme de leur lecture, certains pourront ressentir à l’instar de l’auteure le besoin de s’enraciner, d’agir : « Parce qu’une fois que j’aime, je ne peux plus être indifférente.2 »

Christine Beaulieu a raison de se demander si, après 70 ans de liaisons intimes, les Québécois et la société d’État Hydro-Québec n’en sont pas venus à se prendre pour acquis. J’aime Hydro retrace les aléas de cette longue relation, qui bénéficierait certainement aujourd’hui d’un amour plus reconnaissant et plus responsable.

Virginie St-Pierre


1Christine Beaulieu, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10 (Pièces), 2017, p. 44.
2Ibid., p. 54.

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