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Freud wars : tuer le Père

9782130792451
Freud Wars : Un siècle de scandales | PUF

Les anti-freudiens montent aux barricades

Dans son article « Une difficulté de la psychanalysei », Freud remarquait que certaines barrières affectives entravaient la réception de la psychanalyse : « la psychanalyse s’aliène le sentiment du récepteur, si bien qu’il est moins enclin à lui prêter foi ou intérêtii. » Ces résistances, qui gagnaient en rayonnement et en force d’attraction, s’expliquaient par le fait que la psychanalyse constituait l’une des trois formes de vexation qu’avait essuyée l’humanité dans son amour pour elle-même. L’homme s’était toujours senti souverain dans l’exercice de sa psyché et le cadre explicatif de Freud lui révélait qu’une partie de sa vie psychique était indépendante de sa volonté. Le psychanalyste français Jacques Lacan en avait proposé une formule séminale : « l’homme moderne pense que tout ce qui s’est passé dans l’univers depuis l’origine est fait pour converger vers cette chose qui pense […] qui est lui-même, dans lequel il y a ce point privilégié qui s’appelle la conscienceiii. »

Dans Freud Warsiv, Samuel Lézé transpose ces résistances psychiques du côté de l’arrière-plan culturel où s’est effectuée une véritable levée de boucliers face au freudisme. De 1912 à 2012, des polémiques entourant la personnalité de Freud et la psychanalyse ont éclaté dans l’espace public. Que ce soit dans la presse américaine des années 1990 ou plus tard en France avec la publication du Crépuscule d’une idole de Michel Onfray, une critique freudienne s’est constituée et Lézé a décidé d’en présenter une analyse culturelle. En mettant en lumière le cycle polémique qui structure la « fortune critique » de Freud, Lézé fait émerger la figure de l’anti-freudien, à laquelle il impose un « démasquage » : l’anti-freudien «  peut être un freudien défroqué ou repenti (comme Frederick C. Crews), un sceptique invétéré (comme Gérard Pommier) ou un positiviste (comme H. Eysenck) invoquant le bon sens, la modernité et la raison, ou encore un psychanalyste qui tente de séparer le bon grain de l’ivraie dans la fondation freudienne de la psychanalyse (comme Maria Torök)v. » Ces anti-freudiens se sont livrés à un véritable travail de sape du freudisme en s’attaquant non seulement à la personnalité de Freud, mais aussi à la démarche mytho-poétique de la psychanalyse. L’essayiste de Freud Wars propose de « montrer les chemins, jusqu’ici mal connus, par lesquels les anti-freudiens n’ont cessé de dénoncer la psychanalyse et d’annoncer depuis un siècle, à partir d’énoncés récurrents et fracassants, la mort de Freud et de la psychanalysevi. »

L’examen de la critique freudienne nous fait découvrir des constantes indétrônables : tout en entourant d’un certain flou les concepts de la psychanalyse, les adversaires de Freud diffusent un discours axé sur les mêmes reproches. Les opposants au freudisme évoquent les prétentions de la psychanalyse à la scientificité, mettent à mal la réputation de Freud en l’associant à un vice, une déviance ou une perversion, critiquent le conservatisme du père fondateur de la psychanalyse, attaquent les bases thérapeutiques de la psychanalyse, emploient une rhétorique fondée sur la révélation des erreurs et des fautes de Freud, etc. Dans le but d’établir que la psychanalyse est une pseudoscience, les porte-paroles de la critique rationaliste vont procéder à une « analyse systématique et logique des fondements théoriques et pratiques de la psychanalyse. L’objet est de dénoncer et de démontrer les erreurs de raisonnement que l’on peut découvrir dans l’œuvre même de Freudvii. » Les Freud bashers, quant à eux, empruntent d’autres « armes intellectuelles » pour miner la crédibilité de la psychanalyse. Tentés par une quasi « remontée » aux origines, ils veulent tuer la poule dans l’œuf et neutraliser la pensée freudienne en gésine : « Puisque Freud est le père de la psychanalyse, c’est-à-dire une théorie de la personnalité fondée sur une personnalité […] il suffit d’analyser l’ “inanalysé” de Freud pour dévoiler et subvertir la psychanalyseviii »

Freud Wars atteste de la rémanence de Freud en tant qu’icône culturelle et illustre la volonté instinctive, chez certains intellectuels, de s’y attaquer. De plus, en se penchant sur une certaine forme d’opposition à Freud, Samuel Lézé détaille les manières dont on a remis en question la psychanalyse et pose une question épineuse : comment critiquer Freud? Dans une perspective globale, Samuel Lézé utilise la critique freudienne comme « un analyseur pour observer comment se forme une bonne conscience : en heurtant des valeurs socialement reçues et partagées, par la dénonciation, le scandale fait éclater une indignation donnant à voir crûment la hiérarchie des valeurs morales de la société : les contraintes sociales, les autorités respectées, les idoles vénérées, le renouvellement du conformisme et la force des certitudesix. » Il s’agit ici de relever les normes et les valeurs qui ont été mobilisées pour ternir la fresque freudienne.

Alexandre Laliberté

Sigmund Freud, « Une difficulté de la psychanalyse », dans Pour introduire le narcissisme, Paris, Éditions Payot & Rivages (Petite Bibliothèque Payot), p. 117-132.

ii Ibid., p. 120.

iii Jacques Lacan, Le séminaire, livre II : le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1978, p. 63.

iv Samuel Lézé, Freud Wars : Un siècle de scandales, Paris, Presses universitaires de France, 2017, 178 p.

Ibid., p. 104.

vi Ibid., p. 38.

vii Ibid., p. 105.

viii Ibid., p. 110.

ix  Ibid., p. 6.

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