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Franchir les murs selon Érika Soucy

9782896496730
Les murailles | Éditions : VLB

soucyDans Les murailles, son premier et très réussi roman, Érika Soucy nous transporte en territoire inconnu, dans le nord du Québec, en plein cœur du milieu rude des ouvriers de chantier, le dernier endroit où on croirait découvrir une certaine poésie. Et pourtant.

Après avoir remporté une bourse d’écriture, la jeune femme décide de délaisser pour un temps son mari et son enfant et de s’exiler au chantier de La Romaine, là où son père travaille et a travaillé toute sa vie, afin d’y écrire de la poésie. Elle reproduit donc, d’une certaine manière, ce qu’il lui a fait vivre durant plusieurs années au cours du cycle infini de retrouvailles et d’adieux qu’impliquait son emploi. En effet, son père, pendant longtemps, ne revenait à la maison que quelques semaines par année et repartait constamment au nord pour le travail, sans même remarquer à quel point sa famille se sentait abandonnée et trahie chaque fois. Peut-être dans une tentative de franchir le mur qui les sépare et d’arriver à pardonner et même à comprendre son père, la narratrice va donc le retrouver dans son habitat naturel et vivre à sa façon durant une brève période.

Au passage, on entrevoit aussi l’univers dur et éreintant des chantiers, un monde d’hommes où chacun passe la majeure partie de sa journée à travailler et a très peu de temps pour les loisirs ou pour les souvenirs tant la fatigue est envahissante. L’auteur parvient d’ailleurs à briser certains préjugés que l’on entretient au sujet des hommes des chantiers, que l’on perçoit parfois comme étant dénués d’émotions, alors qu’on les présente ici comme très solidaires et fiers. Cependant, pour s’évader momentanément de leur dure réalité ou pour oublier la solitude qui les assaille, quelques travailleurs plongent régulièrement dans l’alcool et la drogue. L’auteur aborde aussi avec finesse la relation ambigüe et pleine de racisme sous-jacent qu’entretiennent ces derniers avec les Amérindiens.

Avec son écriture brute très empreinte d’oralité, Érika Soucy nous met dans la bouche la langue râpeuse et franche des hommes des chantiers, comme pour nous rapprocher d’eux et nous inviter à voir les choses à leur manière. Étonnamment, la poésie surgit à l’occasion dans ce récit et vient révéler la profondeur et la beauté sauvage de ces hommes, de cette vie sans artifices rythmée par le travail et la nature, à l’image des bûcherons d’autrefois.

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Les chroniques de Stéphanie R., Romans, Suggestions de lecture