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«Tu n’as jamais été vraiment là» de Jonathan Ames

9782070459780
Ames, Jonathan – Tu n’as jamais été vraiment là
Gallimard

L’adaptation remarquée de la nouvelle de Jonathan Ames, Tu n’as jamais été vraiment là, par Lynne Ramsay, enjoignit récemment les éditions Gallimard à rééditer cette jolie petite pièce de littérature. Sa simplicité est appréciable : Joe, tour à tour Marine, agent du FBI et homme de main, est mandaté d’exfiltrer d’un réseau de prostitution juvénile la fille d’Albert Votto, sénateur d’Albany. Pour ce faire, Joe devra affronter plus d’un imprévu, mettant à l’épreuve ses ressources stratégiques et tactiques et sa capacité d’adaptation. Du reste, la personnalité de Joe peut paraitre convenue ; un homme solitaire et taciturne à la psyché rompue par les coups d’un père violent (ex-Marine comme lui) ayant renoncé à l’amitié et à l’amour, si ce n’est l’amour filial et très discret qu’il porte à sa mère.

L’histoire, divertissante, peut se prêter à de multiples interprétations. C’est d’ailleurs tout l’intérêt du livre qui réussit, par son style, à densifier ses 90 pages d’une réflexion sur la violence et ses héritiers. La narration réaliste et minimale n’engage aucune lecture morale des faits. Les choses se déploient comme les parties d’une mécanique dont Joe serait le technicien. Son rapport au monde et à lui-même nous devient alors plus palpable et ainsi plus troublant. L’histoire de Joe est celle d’un homme condamné, d’un homme perdu qui, tragiquement, n’a jamais pu être vraiment . Là, c’est-à-dire, peut-être, dans la grâce de la vie que cueillent les mains de notre innocence originelle. Et dans le sillon de la violence se retrouve toujours la pureté de l’innocence : celle de Lisa Votto qui, à treize ans, sert de monnaie d’échange politique ; celle de Joe enfant ; celle de sa mère ; éventuellement celle de son père. Au bout de cet atavisme tragique, l’être de Joe, dépossédé de la meilleure part de lui-même, se confond avec une technique pure, la technique glaciale du meurtre. Par une diabolique inversion, la source de son désespoir consiste alors dans le reste d’humanité qui adhère toujours à son âme de métal. Joe n’ayant pas accès à sa pleine réification et donc incapable de vivre, il ne trouve comme issue que la fuite perpétuelle dans le service de tueur à gages. Dans cette anti-geste d’une déchéance annoncée, les moindres relations auxquelles pouvaient être attachées Joe se décomposent dans la mort.

La nouvelle se clos brusquement sans élucidation. Quelles réponses peut-on apporter aux questions que soulève la violence ? Dans l’entrevue qu’il confia au Collider en avril dernier, Jonathan Ames se révèle enthousiaste et inspiré de sa collaboration avec Lynne Ramsay et Joaquin Phoenix. Il en serait à écrire une suite à l’histoire de Joe.

David Labrecque

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