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Stefan Wul : la science-fiction décomplexée

9782362311468
L’orphelin de Perdide | Castelmore

9782359105148
Retour à zéro | Ankama

Stefan Wul : la science-fiction décomplexée

9782362311468 9782359105148Dans un futur lointain, Ja-Benal est un grand physicien arrêté et jugé pour attaque terroriste sur un complexe scientifique. Sa sentence est la même que celle de l’ensemble des criminels sur la Terre depuis des centaines d’années; comme la peine capitale, jugée trop barbare, a été abandonnée, les criminels sont exilés sur la Lune! Or, la colonie pénitentiaire s’est développée en une civilisation totalitaire dont les grands chefs, condamnés à vivre sur ce monde hostile, rêvent de se venger un jour des Terriens. En fait, soupçonnant une attaque imminente, ce sont les services de sécurité terriens qui ont envoyé Benal pour jouer le rôle d’agent double.

Soyons francs : Retour à Zéro, le premier roman de Stefan Wul, un des rares auteurs de science-fiction français, pèche par naïveté et a plutôt mal vieilli. Les inventions kitsch, une représentation fantaisiste de la lune et la finale reprenant le mythe d’Adam et Ève rendent ce roman complètement caduc.

Pourquoi en parler ici, alors? Parce qu’il constitue une des plus belles réussites de la collection de bande dessinée « Les Univers de Stefan Wul » chez Ankama. Afin de faire découvrir ou redécouvrir l’œuvre par moment délirante et souvent très imaginative de cet auteur, la maison d’édition offre à des bédéistes chevronnés de choisir un livre de Wul et de l’adapter en bande dessinée. Le scénariste Thierry Smolderen et le dessinateur Laurent Bourlaud ont, contre toutes attentes, sélectionné le premier roman de Wul et en ont fait un pur délice pour les amateurs.

Smolderen s’est collé sur le texte d’origine sans pratiquement rien changer, ce qui en fait, à ce jour, l’adaptation la plus fidèle de la collection. Le coup de maître vient des dessins de Bourlaud. Ce dernier a décidé de tirer parti du côté désuet, suranné du roman et a fait ses recherches graphiques en se plongeant dans les œuvres science-fictionnelles de l’époque. Les couvertures de revue telle qu’Astounding Science Fiction, les images tirées d’un film russe des années 1920, Aelita, des documents scientifiques des mêmes années : voilà un exemple du matériel ayant servi de source d’inspiration graphique pour Bourlaud. En reprenant ce type d’imagerie, les auteurs nous replongent alors dans ce qui faisait l’étrangeté, la fantaisie des récits pulp de la science-fiction. Pour notre plus grand bonheur d’ailleurs.

Le reste de la collection « Les Univers de Stefan Wul » est un incontournable pour les amateurs du genre. Pour chacun des titres, des dessinateurs de grand talent et d’excellents scénaristes ont réactualisé les textes de Wul (mon adaptation préférée : le diptyque Le Temple du passé… sublime!).

Mais ce n’est là que l’une des façons d’explorer l’univers de Stefan Wul. Ses livres sont republiés par la maison d’édition Castelmore. Je souhaite vous recommander personnellement la lecture de L’Orphelin de Perdide (d’autant plus que son adaptation en bande dessinée n’a pas encore été réalisée).

Ce petit livre, sublime par sa fantaisie, raconte l’histoire de Claudi, un jeune garçon de quatre ans abandonné sur une planète hostile, la fameuse Perdide du titre. Menacé par des insectes géants et hargneux, le petit Claudi n’a, pour tout secours, qu’un objet en forme d’œuf, une radio avec laquelle il arrive à communiquer avec un certain Max. Sorte de mercenaire de l’espace, Max se trouve à des années-lumière de Perdide. Dans une véritable course contre la montre, il tente de rallier la planète avant qu’il ne soit trop tard pour la survie de l’enfant, tout en lui donnant divers conseils de survie.

Si vous êtes nés vers la fin des années 1970 et que vous vous êtes abreuvés à Ciné-Cadeau à l’époque de Radio-Québec, il y a de fortes chances que cette histoire vous rappelle quelque chose. René Laloux et le grand Moebius en avait fait une adaptation sous le titre Les Maîtres du temps, film d’animation devenu culte depuis. Les fans du film ne seront pas déçus : à peu de choses près, il suit parfaitement la trame du roman.

Le fait qu’un dessinateur aussi exceptionnel et créatif que Moebius ait adapté un de ses romans et que des bédéistes de grand talent lui rendent un hommage à travers une collection complète démontre bien l’aspect le plus intéressant de l’œuvre de Stefan Wul : ses univers n’ont pas la froideur du cosmos comme chez Arthur C. Clarke ou la rigueur cartésienne de la plupart des auteurs classiques du genre. Non. Wul nous invite plutôt dans un voyage où il nous demande, nous conjure de laisser notre imagination vagabonder à son gré. Si la science se trouve dans chacun de ses livres, elle côtoie toujours de très près le rêve, la fantaisie. Voilà pourquoi nous pouvons dire que la science-fiction est, chez Wul, totalement décomplexée.

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