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Réflexions sur le temps présent

9782358720977
En quel temps vivons-nous? | La Fabrique

Qu’est-ce qu’il y a de nouveau dans notre temps?

L’époque contemporaine a intégré une « grande bouillie défaitiste » à son dispositif imaginaire. L’état du monde actuel est perçu comme recouvert d’un immense nuage sombre : terrorisme, changements climatiques, montée du radicalisme, etc. Afin d’y voir plus clair, Eric Hazan a voulu questionner Jacques Rancière, philosophe bien connu, auteur prolifique et professeur émérite. La conversation engagée dans En quel temps vivons-nous?, bien loin de reposer sur une argumentation inconsistante du philosophe, lequel mène presque un exposé théorique, suscite une véritable interrogation des modes de sentir, de penser et d’agir qui ont cours dans notre société.

Le but de l’exercice est simple à énoncer, mais difficile à atteindre : donner au présent son profil singulier. Quelques lignes d’orientation sont tracées par Eric Hazan; retenons la démocratie et les luttes politiques. Jacques Rancière aborde la démocratie sous l’angle de la représentation. Depuis les dernières décennies, le système représentatif n’a cessé de se renforcer et s’est gardé d’exprimer les vœux latents de la masse. C’est que le corps électoral ne représente pas le peuple, il s’est autonomisé sous l’enseigne des représentants légitimes, la « caste des professionnels du pouvoiri ». D’ailleurs, comme le précise le philosophe en analysant le mouvement des occupations et des places, la communauté est devenue avant tout un objet de désir. Les remarques qui précèdent font apparaître que le paysage politique est marqué par « l’affirmation d’un peuple autre que celui du processus électoral. […] cet autre peuple est actuellement objet de désir plus que forme en mouvement. On sait en figurer l’existence mais on ne sait pas quels organes et quelles formes donner à sa constitutionii. » Dans une autre direction, la lutte politique menée par les récents mouvements a « donn[é] lieu à beaucoup de paroles mais cette diversité excluait la forme d’une parole saisissant le sens global du mouvement dans une séquence historiqueiii. » À travers la singularisation des luttes nous entendons non pas la voix d’un mouvement mais bien des « paroles singulières qui essaient de penser la puissance commune incluse dans des moments singuliersiv ».

Dans En quel temps vivons-nous?, Jacques Rancière se présente comme une subjectivité active, éprouvant les possibilités de ses instruments d’analyse : restituer le sens aux mots et aux concepts dans le but d’éclairer les zones obscures de l’inconscient collectif. S’il semble nécessaire de briser la monstrueuse mécanique du Capital ou encore de développer « toutes les formes de sécession par rapport aux modes de perception, de pensée, de vie et de communauté proposés par les logiques inégalitairesv », on doit surtout, et c’est ici le point le plus fort de l’exposé de Rancière, combler les lacunes du manque d’imagination politique qui caractérise notre époque. Situer historiquement les paradigmes politiques, définir rigoureusement les mythes politiques modernes, rappeler les exigences intellectuelles de toute stratégie politique sérieuse, comme le fait le philosophe, en constitue une étape préliminaire.

Alexandre Laliberté

iJacques Rancière, En quel temps vivons-nous?, Paris, La fabrique, 2017, p. 16.

iiIbid., p. 23.

iiiIbid., p. 41.

ivIbid., p. 42.

vIbid., p. 60.

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