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Le syndrome de l’autruche de George Marshall

9782330080297
Marshall, George – Le syndrome de l’autruche | Actes Sud

Comment ignorer ce que nous savons?

couvertureBien que la science soit sans équivoque sur le fait que « les émissions de gaz à effet de serre, attribuables pour l’essentiel à l’utilisation des combustibles fossiles et à la déforestation, ont considérablement réchauffé la température moyenne mondiale et continuent de le faire1  », il semblerait qu’une certaine proportion de sociétaires rejette au néant la validité des études scientifiques prouvant l’existence des changements climatiques. Dans Le syndrome de l’autruche, George Marshall tente d’évaluer le coût psychique d’une telle résistance aux discours écologistes en expliquant les fondements cognitifs du climato-scepticisme. L’essayiste vise à déterminer les failles psychologiques et les mécanismes universels cérébraux de défense qui légitiment le déni de la crise actuelle du système terrestre. Pour prendre les choses de plus loin, il s’agit pour George Marshall de comprendre comment les changements climatiques constituent un « défi ultime posé à notre capacité de donner un sens à ce qui nous entoure2 ».

Quelles conclusions tirer du parcours argumentatif de George Marshall? On pourrait dire de manière très synthétique que les changements climatiques représentent un problème fort complexe et multivalent. Ils sont attachés et chevillés à un problème cognitif « ouvert à de multiples sens et interprétations. Il ne nous fournit aucun trait distinctif qui nous permettrait de lui donner une identité claire : pas d’échéance, de pas lieu précis, de cause unique, pas de solution, pas d’ennemi. » À cela s’ajoute cet invariant anthropologique : l’être humain possède un « talent inné et hors du commun pour ne voir que ce [qu’il veut] voir et mettre de côté ce [qu’il préfère] ne pas savoir3 ». En référant à la psychologie sociale, aux neurosciences et aux sciences cognitives, Marshall réussit à isoler, en une synthèse puissante, de nombreuses dispositions naturelles qui empêchent les climatosceptiques d’accepter les changements climatiques. Permettez-moi ici un bref survol de ces mécanismes psychologiques. L’un des processus cognitifs mis en cause dans le climato-scepticisme est l’assimilation biaisée ou le biais de confirmation. À supposer que nous ne pouvons lier les phénomènes météorologiques extrêmes aux changements climatiques avec une certitude absolue, nous aurons tendance à les comprendre à travers le prisme de nos idées et de nos hypothèses. La psychologie cognitive nous apprend ceci : « Le biais de confirmation est la tendance à privilégier les preuves qui étayent nos connaissances, idées et croyances. Elles créent une carte mentale – ce que les psychologues nomment un schéma – et, lorsque nous sommes confrontés à une nouvelle information, nous la modifions pour l’insérer au schéma existant, selon un processus appelé ‘’assimilation biaisée’’4. » Si le biais de confirmation oriente notre interprétation de la climatologie, le biais de disponibilité brouille tout autant notre compréhension des changements climatiques. En effet, il nous incite à accorder plus de crédibilité aux renseignements les plus accessibles et « nous mène à surestimer largement les dangers des événements récents et à mettre de côté les menaces posées par les plus lointains, qui ne sont pas encore pressentis5 ».

On peut dire sans détours que les outils psychologiques développés par l’homme au cours de son histoire sont sans doute inadaptés pour faire face à une menace universelle comme les changements climatiques. Selon les psychologues évolutionnistes, notre cerveau serait incapable d’y réagir de façon adéquate. Dans une autre direction, George Marshall ne joue pas les Cassandre : il envisage, en conclusion, de réduire les effets de nos biais cognitifs en adoptant différentes stratégies discursives. Pour créer un sentiment de proximité, la question des changements climatiques devrait être traitée de manière à faire prendre conscience à la population que tout se passe hic et nunc : « Nous devrions tout particulièrement éviter de créer de la distance en plaçant les changements climatiques dans le cadre d’une menace éloignée pour des populations lointaines, et notamment pour des non-humains […].6 » Dans le but de briser le clivage politique et de permettre à la droite conservatrice de s’approprier les enjeux écologiques, l’essayiste suggère, par exemple, d’amalgamer les valeurs universelles à la lutte aux changements climatiques : « Il est essentiel […] d’affirmer des valeurs plus universelles, qui, des expériences l’ont montré, rendent les populations bien plus disposées à accepter des informations qui remettent en cause leurs vision du monde7. »

Le syndrome de l’autruche propose, somme toute, une fascinante plongée dans la psyché humaine, détaillant les ruses employées par l’esprit pour se mentir à lui-même, exposant l’influence de nos réponses psychologiques sur nos décisions politiques et montrant comment chaque groupe social possède ses valeurs, ses « livres-codes » et ses propres interprétations de la réalité.

Alexandre Laliberté

1. Ian Angus, Face à l’Anthropocène, Montréal, Écosociété, 2018, p. 37.

2. George Marshall, Le syndrome de l’autruche, Paris, Actes Sud, 2017, p. 24.

3. Ibid., p. 24-25.

4. Ibid., p. 41.

5. Ibid., p. 42.

6. Ibid., p. 379.

7. Ibid., p. 387.

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