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« Les Aventures de Bob Leclerc » de Grégoire Bouchard

Quand le Québec est parti en guerre contre Mars… en 1959!

 

Lire Les Aventures de Bob Leclerc, le somptueux diptyque de Grégoire Bouchard, exige une immersion totale dans l’œuvre : l’ampleur des cases et l’attention manifestement portée aux détails des illustrations nous captivent instantanément. Et lorsque le voyage est terminé, lorsque le lecteur revient à la réalité, il se laisse porter par la profondeur du scénario et les divers niveaux de lecture qui, lentement, font surface à son esprit et prolongent ainsi le plaisir d’une lecture hors du commun.

Qu’est-ce que ces fameuses Aventures de Bob Leclerc? D’ailleurs, quel nom étrange pour un héros (quoique… peut-être s’agit-il d’un clin d’œil à Henri Vernes, autre illustre créateur d’univers)! Afin de s’en faire une idée claire, tâchons de résumer l’action. Nous sommes en 1959, à Montreal City. Bob Leclerc, ancien pilote durant les guerres asiates (s’agit-il du front asiatique durant la Deuxième Guerre ou d’une toute autre guerre? J’y reviens plus bas), s’ennuie un peu à la retraite. Or, on a à nouveau besoin de ses services lorsque l’on apprend que les Martiens fomentent une invasion de la Terre. Pour contrer la menace, un groupe de scientifiques a élaboré un plan d’attaque : à bord de la Fusée U-3, une équipe terrienne menée par notre héros larguera une arme bactériologique dans la source principale d’eau potable des Martiens.

Grégoire Bouchard divise son récit en deux temps. Le premier volume se consacre presque entièrement à l’entraînement de l’équipage et à la mise au point de la mission interstellaire. C’est le moment privilégié pour nous, lecteurs, de faire plus ample connaissance avec les membres de l’équipage : on y découvre leurs forces et leurs faiblesses, leurs appréhensions et leurs ambitions. Si cette partie du récit est nécessairement plus bavarde, elle coule tout de même aisément pour le lecteur qui se laisse facilement prendre.

Le deuxième tome commence avec le lancement de la fusée U-3 et voit les personnages tenter d’accomplir leur mission apocalyptique. Cette partie du récit a beaucoup plus d’action que le premier tome, l’auteur nous ménageant d’excellents moments de pure tension. Qu’on ne s’y trompe pas : l’objectif de l’auteur n’est pas de nous étourdir avec des scènes d’action sur les chapeaux de roues. Bien au contraire, il nous invite à une intime réflexion sur la guerre et le sacrifice, sur notre part d’humanité en temps de crise. La toute dernière partie n’est pas sans évoquer Le Seigneur des Anneaux, le chef-d’œuvre de Tolkien. Ici, Bouchard s’intéresse proprement à la vie du héros à son retour de mission, à sa tentative de reprendre le cours soit disant normal de sa vie dans une société qui semble ne savoir absolument rien de ce qu’il a dû accomplir, voire sacrifier pour que celle-ci survive. Comme dans le livre de Tolkien, même la victoire a un goût amer, une teinte de mélancolie.

Bouchard a écrit son long scénario en y intégrant, ici et là, des éléments qui nous montrent un univers plus vaste que ce qu’en voit le héros. On y fait souvent référence aux fameuses guerres asiates. Que cet événement manifestement marquant fasse référence au contexte d’une précédente aventure de Bob Leclerc (malheureusement épuisée), je ne saurais le confirmer. Mais le simple fait d’y revenir régulièrement ici suffit à nous montrer un monde qui possède déjà une histoire qui lui est propre. Ainsi en est-il aussi de la représentation de ce saurien ayant survécu à la fin des dinosaures et hantant les couloirs sombres d’une grotte non loin de la base scientifique : c’est un élément qui, s’il fera certainement sourire les plus « geeks » d’entre nous (on ne peut qu’y voir un beau clin d’œil à un célèbre film japonais de 1954…), il n’en demeure pas moins qu’il enrichit le monde dans lequel évolue Bob Leclerc. La représentation que fait Bouchard de la civilisation martienne procède de la même façon de faire et demeure, à mon avis, exemplaire. Elle est à des lieux des tripodes menaçants de H.G. Wells.

Si cette œuvre m’a impressionné par l’ampleur de son scénario, elle m’a également marqué par la virtuosité du trait de son auteur. Chaque case, chaque planche est manifestement le fruit d’un travail de patience et relève d’une rare minutie. Tous ces détails techniques dans les éléments de décor de science-fiction sont tout simplement vertigineux. Mais c’est dans l’évocation d’un pseudo-Québec des années 1950 que Bouchard devient le plus exaltant. Ce mélange rétro-futuriste vaut à lui seul le détour : voir un cultivateur, assis sur son tracteur Massey-Harris, et saluer du chapeau le décollage de la fusée, c’est une vision d’un Québec qui s’approprie avec délice les codes provenant de nos voisins du sud (et rappelle, encore là pour le lecteur avide de références, les bandes dessinées publiées par EC Comics!).

Monumental, profond, remarquable : le diptyque de Grégoire Bouchard mérite sa place dans le panthéon des grandes œuvres séquentielles québécoises. À lire absolument.

Jérôme Vermette

 

Grégoire Bouchard/ Les Aventures de Bob Leclerc/ Éditions Mosquito/ 2017

  • Tome 1: Le cauchemar argenté/ isbn: 9782352834366/ 43.95$
  • Tome 2: Terminus, la Terre/ isbn: 9782352834397/ 43.95$

 

 

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