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Michel Houellebecq et La poursuite du bonheur

9782290108772
La poursuite du bonheur | J’ai Lu

Michel Houellebecq et La poursuite du bonheur

9782290108772Dans Conversations d’un enfant du siècle, Michel Houellebecq rend partiellement compte de sa conception du bonheur : « Dans ma vie je n’ai eu que des bribes de bonheur. Des moments de joiei. » Pour mémoire, le corpus houellebecquien illustre en creux un bonheur impossible, lequel s’inscrit dans une absolue négativité. Dans son essai Rester vivant, l’auteur annonce sans détour cette position : «  N’ayez pas peur du bonheur, il n’existe pasii ». À quoi ressemble cette poursuite du bonheur à laquelle nous convie le poète? Essayons de prendre quelques repères.

Dans La poursuite du bonheur, le sujet énonciateur est « à côté de la vie » à un point tel que son existence n’a pas d’ancrage sur le plan de l’identité. Il est d’abord sans assises, « sans point d’appui, entouré par le videiii » Spécifions que le poète est isolé, coupé de son milieu. La voix poétique se positionne à l’extérieur de la race humaine. Il observe les hommes comme un scientifique pourrait étudier le comportement d’un animal : «  J’ai vraiment l’impression que ces gens se connaissent/ car des sons modulés s’échappent de leur groupe. / J’aimerais me sentir membre de leur espèceiv. » Une image qui sera reprise au compte d’un « je » qui est déclassé, marginalisé et vivant dans un monde périphérique, liminaire. Houellebecq précise : « Je vis ou survis très en dehors des normesv ».

Le sujet énonciateur s’étoile en de multiples représentations, lesquelles ne sont pas sans entrer en étroite relation avec la mort. La voix poétique est en fait nécrosée : « Il y a quelque chose de mort au fond de moi, / Une vague nécrose une absence de joievi ». Le monde du « je » est fondé sur l’assouvissement d’une multitude de désirs, un des principaux étant la réalisation de la mort : « Un temps mort. Un trou blanc dans la vie qui s’installe. […] J’ai envie de me tuer, de rentrer dans une sectevii. » et « Je veux réussir ma mortviii ». L’idée de la mort n’est pas sans convoquer la déliaison, la disjonction des corps :

« Et les corps qui se désunissent […] Oh! la séparation, la mort […] la lente désunion des corpsix. » Souhaitant un état de non-être, la voix poétique privilégie néanmoins une existence intermédiaire entre la vie et la mort : « Je n’ai pas envie de vivre et j’ai peur de la mortx ». Houellebecq tente ainsi de faire entrer en coalescence deux états opposés.

Pour combler les lacunes qui subsistent chez le sujet énonciateur, La poursuite du bonheur fait entendre l’appel d’un ailleurs : « Au-delà de ces maisons blanches, / Il y a un autre univers/ Quelque chose en moi se déclenche, J’ai besoin d’un autre universxi. » Le lieu convoité permet de faire disparaître les goulets qui séparent la mort de l’amour : « Est-il vrai qu’un lieu au-delà de la mort / Quelqu’un nous aime et nous attends tels que nous sommesxii. » C’est que pour la voix poétique, seul l’amour compte véritablement, et ce même s’il n’existe nulle part. Par conséquent, le sujet énonciateur ne peut que s’orienter vers un autre lieu que l’on dit indicible et point aveugle de tout langage : « Puis les regards se plongent et se réfléchissent dans quelque chose d’infiniment salvateur / Qui est l’Autre et l’Unique, / L’espace et le point fixe. […] Quelque chose autour de quoi se lie et se constitue en même temps par ce lien, / Un point central autour duquel se forme et se définit dans un formidable entrelacement topologique, / Un point dont la contemplation prolongée conduit l’âme à un saut vers l’absolument identique. / Le nom de ce point n’existe dans aucune langue; mais de lui émanent la joie, la lumière et le bienxiii. »

En fin de compte, La poursuite du bonheur n’est peut-être que le récit d’un paria, d’un être repoussoir, à la fois « torturé et sereinxiv », autant en proie à la souffrance de vivre que séduit par les promesses funestes de la mort. Au cœur de cette crise existentielle réside le mal-être houellebecquien : la fêlure du sujet est accompagnée de sa coupure avec le monde. Le lecteur est ici en terrain connu et se remémore Extension du domaine de la lutte : « Je ressens ma peau comme une frontière et le monde extérieur comme un écrasement. Elle n’aura pas lieu la fusion sublime; le but de la vie est manquéxv. » L’intérêt de ce premier recueil de poésie écrit par Michel Houellebecq est surtout de fournir au lecteur quelques matériaux afin de visionner le parcours douloureux d’un être en dehors de tout et animé par le besoin impérieux de trouver la joie et d’accepter l’homme.

Alexandre Laliberté

i Frédéric Beigbeder, Conversations d’un enfant du siècle, Paris, Grasset, 2015, p. 359.

ii Michel Houellebecq, Rester vivant et autre textes, Paris, Flammarion (Librio), 1999, p. 21.

iii Michel Houellebecq, La poursuite du bonheur, Paris, Flammarion (Librio), 1997, p. 32.

iv Ibid., p. 22.

v Ibid., p. 8.

vi Ibid., p. 35.

vii Ibid., p. 21.

viii Ibid., p. 42.

ix Ibid., p. 29.

x Ibid., p. 9.

xi Ibid., p. 25.

xii Ibid., p. 51.

xiii Ibid., p. 57-58.

xiv Ibid., p. 41.

xv Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Paris, J’ai lu, 1997, p. 156.

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