Afrotopia
À mille lieux de la triste topologie de l’afro-pessimisme et de l’afro-optimisme béat, Felwine Sarr propose dans cet essai brillant et décapant de réhabiliter le pouvoir imaginant de l’utopie : « L’Afrotopos est l’atopos de l’Afrique : ce lieu non encore habité par cette Afrique qui vient.» Le décor ainsi planté, l’économiste sénégalais fait feu de tout bois. L’Afrique n’a personne à rattraper, assène-t-il, et les modèles économiques qui lui sont imposés relèvent plus de l’ « enveloppement » que du développement. Pour que les Africains puissent penser « contre la marée », il suggère d’y cultiver une certaine souveraineté intellectuelle, de renouer avec l’historicité propre et d’habiter la contemporanéité du continent. « On ne vit pas dans un espace neutre et blanc ; on ne vit pas […] dans le rectangle d’une feuille de papier », écrivait Michel Foucault dans Des espaces autres (1967). Il faut croire qu’avec Afrotopia (2016), Felwine Sarr a trouvé le moyen d’octroyer de l’épaisseur à cette Afrique sans lieu ainsi qu’à ses récits sans chronologie. Au fil des pages de cette utopie active, un précipité de possibles se cristallisent imperturbablement dans l’«afrocontemporanéité» dont la pesanteur s’éprouve dans « ce temps présent, ce continuum psychologique du vécu des Africains, incorporant son passé et gros de son futur qu’il s’agit de penser. »
Radjoul