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« Star Wars » de Will Brooker

9782355743191
Brooker, Will – Star Wars | Akileos

Ambivalence de l’artiste : George Lucas et la création de l’univers Star Wars

couv-livreLa superbe collection BFI : Les classiques du cinéma chez Akileos poursuit son développement avec la publication de l’étude de Will Brooker sur Star Wars. La récente sortie en salle de l’épisode VIII m’apparaît comme un moment idéal pour se plonger dans la lecture de ce texte qui est fascinant à maints égards.

Will Brooker introduit son sujet par une revue historique de la réception critique du film. On a beaucoup glosé sur l’importance de ce film en tant que blockbuster, réduisant la séduction qu’il exerce à la simplicité de son scénario, un soi-disant manichéisme qui ne peut que charmer les plus jeunes. Mais Brooker va plus loin : en jetant un œil aux premiers films de Lucas, tant ses courts métrages que ses longs (THX 1138 et American Graffiti), il remarque que l’on a fait du père de Star Wars un artiste expérimental qui aura sacrifié sa vision au profit d’une entreprise commerciale.

Lors de ses études en cinéma, Lucas a développé un intérêt marqué pour le documentaire réaliste à la Pierre Perreault. Bien qu’il ne soit pas nommé dans le livre, Brooker mentionne que Lucas découvre ce style cinématographique par le visionnement des films de l’Office Nationale du Film du Canada. En plaçant plusieurs caméras à différents endroits clés et en donnant un minimum d’instructions aux acteurs, le réalisateur laisse ceux-ci improviser dans ce cadre pour en tirer des scènes plus réalistes. Cette façon de faire a été au cœur du choix des acteurs : ils doivent avoir une bonne interaction entre eux hors du plateau et être en mesure d’improviser.

Il est déjà surprenant de faire cette découverte sur le tournage d’un film dont le contrôle paraît pourtant absolu. C’est que l’autre aspect artistique essentiel dans ce film est l’importance du montage. George Lucas applique à Star Wars les leçons d’Eisenstein, le maître du cinéma soviétique. Un bon montage permet de susciter l’émotion chez le spectateur. Ici, Brooker raconte cette anecdote : lors du tournage de la scène durant laquelle Luke Skywalker découvre les cadavres immolés de son oncle et de sa tante, Mark Hamill aurait voulu que son personnage s’écroule dans un éclat mélodramatique; Lucas lui a suggéré de demeurer plus impassible : il avait déjà en tête la scène qu’il allait réaliser au montage.

Sous l’œil scrutateur de Brooker, Lucas apparaît comme un artiste ambivalent. Foisonnant d’inventivité, Lucas est ce que l’on pourrait bien qualifier de « patenteux ». Amateur de voitures de course (et cela se voit dans plusieurs scènes de la série), il prenait plaisir à personnaliser des véhicules. Et cette facette du réalisateur transparaît dans l’univers visuel de la Rébellion : l’improvisation dans l’action, le talent de Luke Skywalker à remonter des droïdes et, bien sûr, l’iconique Faucon Millénium sont autant de symboles qui montrent ce côté du réalisateur. Mais Lucas est d’abord et avant tout un artiste avec une vision bien précise et habité par un inconfort social constant, d’où son besoin de contrôler tous les aspects de la création. Ce vernis de perfection, qui ne s’effrite jamais, est à l’image de l’Empire : froid et autoritaire, toujours propre (par opposition à la saleté constante dans laquelle semblent se retrouver les protagonistes rebelles). Cette ambivalence dans la lecture visuelle de Star Wars fait de Lucas un artiste en butte avec ses démons intérieurs. Le réalisateur cherche à les sublimer par l’art, un aspect que peu de gens connaissent de cet « homme d’affaires ».

Brooker souligne également le travail d’autres artisans dans la réussite du projet, tout spécialement Ben Burtt, le responsable du son. À la demande de Lucas, Burtt a enregistré une quantité phénoménale de sons du quotidien et les a juxtaposés afin de créer un univers sonore unique. Si on tient compte en plus de la remarquable musique composée par John Williams, on ne peut douter de l’importance qu’accordait Lucas à ces aspects souvent laissés pour compte dans notre lecture du cinéma, mais qui ont fait de Star Wars un film si viscéral.

Le livre de Will Brooker s’attarde sur beaucoup d’autres aspects du film, et ce, dans un langage à la fois concis et accessible. La lecture de son livre n’est pas seulement une redécouverte jouissive du film de Lucas; c’est également une leçon technique passionnante de cinéma et un regard sur l’Histoire du 7e art à travers des influences comme John Ford ou Akira Kurosawa. C’est également partir à la rencontre de George Lucas et de son univers personnel qu’on pénètre à travers son œuvre.

Jérôme Vermette

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