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François-Xavier Bellamy – Les déshérités : Ou l’urgence de transmettre

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Les déshérités : Ou l’urgence de transmettre | J’ai lu

LES DÉSHÉRITÉS OU L’URGENCE DE TRANSMETTRE

9782290117828La fréquentation quotidienne des réseaux sociaux dresse le portrait d’une société qui fait de l’affirmation de soi la nouvelle quête spirituelle. Chacun a bien un rêve, voire plusieurs, et il n’est pas de raison au monde de ne pas s’en enquérir. Les difficultés à y arriver relèvent souvent de peurs et d’angoisses que de nombreux thérapeutes entendent mettre au tapis avec une méthode personnalisable. Parce que le rêve peut aussi être un rêve de paix intérieur, d’autres nous donnent les clés pour accéder à la « pleine conscience » et nous libérer des démons de l’impitoyable monde moderne.

Il serait temps de réfléchir à la valeur des repères que cette philosophie de l’ego libéré cherche à nous donner. Parce qu’elle n’est pas seulement présente à travers les livres de psychologie populaire ou sur les chaînes YouTube des wanna be coach de vie, mais elle imprègne aussi – et de façon de plus en plus explicite – nos programmes d’éducation ; cette philosophie pour laquelle la transmission culturelle prend les traits d’une tyrannie cachée.

Pour comprendre cette réforme, François-Xavier Bellamy, professeur agrégé en philosophie et homme politique français, nous invite à un parcours dans l’histoire des idées dans son livre Les déshérités ou l’urgence de transmettre. Court, il n’en est pas moins éclairant sur le discrédit qu’a trouvé dans l’enseignement le souci de la transmission.

À travers trois figures intellectuelles majeures de l’histoire française, Bellamy tente de tisser le fil de notre dépossession actuelle. Il nous explique tout d’abord de Descartes qu’il fut le premier à vouloir faire table rase ; le scepticisme cartésien, qui conduisit l’élaboration de sa fameuse méthode, a pour corollaire la disqualification de toute la culture qui le précéda. Chez Rousseau, même le langage en vient à être indésirable puisque certains de ses éléments ne sont pas directement utiles à la jeune génération, laquelle doit être préservée des impuretés de la civilisation détruisant l’innocence et la bonté naturelles. Chez Bourdieu, enfin, c’est l’enseignement en soi qui devient impossible, car il imprègne nécessairement l’arbitraire d’une culture (et son lot de distinctions, qui sont autant de disqualifications selon Bourdieu) à l’enfant. Ce dernier se trouverait dès lors prisonnier de schèmes culturels qu’il n’a pas choisis.

Que toutes ces réflexions aient comme condition de possibilité la transmission de la culture et du savoir par ailleurs dénoncée, remarque Bellamy, cela devrait nous convier à une prudence élémentaire à leur égard. On concèdera qu’une connaissance préalable d’un objet de réflexion est nécessaire pour en offrir un jugement avisé.

Pour l’auteur, l’être humain est culturel par nature. Laissé à lui-même, il demeure inachevé (on pourrait parler du caractère néoténique de la nature de l’homme). La culture ne diffuse non pas un avoir (sous-entendu dans l’expression de « bagage culturel »), mais un être ; elle participe à l’élaboration de l’humanité dans l’homme. Par conséquent, priver un individu de la transmission culturelle revient à empêcher la pleine expansion de son être. Dans ce qu’une certaine doxa conçoit comme une charge contre la singularité de chaque personne, cette transmission représente, pour Bellamy, l’acquisition d’outils pour se nommer. Comment faire des choix si l’on est dépourvu de mots pour s’exprimer, de l’histoire pour se munir d’une perspective et de la connaissance des arts pour informer notre rapport au monde ? Quoi qu’on en dise, il faut du commun pour faire du singulier. Le cheminement vers soi est ici pris au sérieux ; il prend du temps et de la patience pour s’individuer. Un travail dont on est peut friand à l’ère des parangons de l’autosatisfaction décomplexée.

L’idée qu’un avenir ne s’élabore pas sur du néant, mais bel et bien sur un passé semble étrangement mise de côté de nos jours. On peut y déceler une grande victoire du constructivisme qui semble venu à bout des éléments les plus irrépressibles du bon sens. L’horizon social qui se dresse incontestablement inquiète plus d’un observateur, mais l’on pourrait faire l’hypothèse que cette inquiétude – comme une inquiétante étrangeté – habite également tout un chacun, pour des raisons diverses. Il est à souhaiter que nous ayons le courage de suivre la voie difficile à laquelle elle nous convoque ; Les déshérités de François-Xavier Bellamy en pourrait être le premier engagement.

David Labrecque

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