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Simone Weil – Note sur la suppression générale des partis politiques

9782081408746
Note sur la suppression générale des partis politiques | Climats

NOTE SUR LA SUPPRESSION DES PARTIS POLITIQUES

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Que ce soit pour échapper à la souffrance physique ou pour conjurer l’angoisse du sens de notre vie, la recherche du confort et de ses multiples variations teinte parfois de complaisance nos rapports avec le déshonneur. On y met le pied, on le retire, on s’y insère un peu plus et bientôt, on en fait commerce. L’habitude relâche notre attention et le monde devient plus plat à mesure que nos considérations deviennent plus réduites. Cette simplification du monde à quelques positions possibles ne cultive pas l’esprit de finesse, c’est le moins que l’on puisse dire. Incarnation politique de ce relâchement intellectuel et moral: les partis.

Rompue aux enjeux cruciaux de la première moitié du XXe siècle, Simone Weil diffuse une lumière indispensable sur ces prothèses greffées à la vie démocratique dans sa Note sur la suppression des partis politiques. Publiée en 1950, soit sept ans après sa mort, cette brève réflexion contient toujours le tonique des convictions fondamentales de Weil pour le vrai et le bien. Il ne faut donc pas se surprendre de son aversion pour la réalité des partis, ces « machine[s] à fabriquer de la passion collective ». La démocratie étant indissociable du concept de volonté générale, elle explique que cette volonté, pour être digne de remplir sa visée politique, doit être traversée du travail de la raison, qui « discerne et choisit la justice et l’utilité innocente », raison qui, par ailleurs, « est identique chez tous les hommes, au lieu que les passions, le plus souvent, diffèrent ». La volonté générale n’est donc pas en elle-même la gardienne du salut publique; l’union des volontés particulières se fait en neutralisant les passions individuelles pour ainsi dégager l’espace du commun accord. Que l’union procède du contraire – par l’alliance contingente des passions individuelles – et voilà la démocratie viciée. Or, c’est précisément ce qui constitue le péché originel des partis politiques. Qui aujourd’hui méconnaît encore l’esprit de parti? Sorte de vêtement idéologique, il nous fait intervenir dans l’espace publique en s’introduisant par ces mots: « En tant que social-démocrate… », « En tant que libéral… ». Simone Weil nous met au pied du mur: « Si on reconnaît qu’il y a une vérité, alors il n’est permis de penser que ce qui est vrai. On pense alors telle chose, non parce qu’on se trouve être en fait Français, ou catholique, ou socialiste, mais parce que la lumière irrésistible de l’évidence oblige à penser ainsi et non autrement. » Ce n’est pas le vrai et la justice que recherchent les partis politiques, mais, selon l’auteure, leur propre expansion jusqu’à l’hégémonie. Elle fait aussi remarquer l’infiltration de cet esprit dans les communautés intellectuelle et artistique. Dans le tumulte des péripéties renouvelées de leurs querelles, la pensée est mise au ban au profit d’une triste parodie de rhéteurs creux.

Pour se prémunir contre les raccourcis idéologiques distribués jusqu’à l’écœurement par les médias et les réseaux sociaux, on lira avec profit la Note de Simone Weil. L’issue démocratique étant d’une précarité exemplaire, il est certainement prioritaire de retourner à certains fondamentaux de la pensée pour mieux inscrire son expression dans le monde. Bien entendu, la disparition des partis politiques n’est pas pour demain et l’on est en droit de se demander si la philosophe ne se concevait pas une idée trop haute de la vie démocratique en acte. Quoi qu’il en soit, il ne fait pas de doute que les réserves qu’elle exprime sur l’esprit de parti doivent nous accompagner dans le dialogue continu de notre avenir collectif. 

David Labrecque

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